COURSE HORS STADE / CHAMPIONNAT DES ALPES DE CROSS-COUNTRY. Chahdi, une victoire, un palmarès et un projet. Dames Coninx s’impose en solitaire. Jeunes Les Bouchelaghem à la deuxième place
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Pierre Lévisse : une passion autodidacte
Pierre Lévisse l’avoue sans peine : à 69 ans, il garde toujours une certaine nostalgie de ses années d’athlète. Avec quatre titres de champion de France de cross-country et quatorze participations aux championnats du monde de la spécialité (3 fois dans le top 10) entre 1976 et 1991 , il fut un grand spécialiste des labours, mais aussi un excellent pistard (13’32’’56 sur 5000 m et 27’50’’30 sur 10 000 m). Retour sur le parcours de ce passionné, qui s’est construit au fil des ans en autodidacte.
Vous souvenez-vous comment tout a commencé pour vous avec la course à pied ?
J’ai découvert l’athlétisme à 12 ans lors d’un cross interclasses de 600 m que j’avais gagné, malgré une chute au départ. Preuve que je devais avoir déjà quelques qualités.
En tous cas, à l’époque, j’aimais le sport en général. J’écoutais le Tour de France avec mon grand-père à la TSF et je rêvais devant mon idole Bahamontes que l’on surnommait « l’aigle de Tolède ». Pour autant, ce n’est qu’en minimes, après quelques compétitions scolaires, dont une deuxième place aux championnats de France UGSEL, que j’ai rejoint un club sur les conseils de mon professeur de sport. Mais c’était dur pour moi. Je m’entrainais très peu. Lors des compétitions, tout le monde partait très vite et je passais mon temps à devoir remonter… J’ai continué en cadets à faire quelques cross, mais je ne m’entraînais pas de manière régulière et j’ai fini par arrêté. Finalement, c’est à 20 ans, en 1972, alors que je cherchais du travail, que je m’y suis remis plus sérieusement.
Qu’est-ce qui vous a ramené vers l’athlétisme ?
Au départ, c’était juste l’envie de me défouler et de m’entretenir. De me vider la tête aussi. J’ai commencé par une petite demi-heure de footing par jour. Sans prétention. Mais quand les dirigeants du club d’Angers l’ont appris, ils m’ont contacté pour me faire revenir. J’ai accepté parce que j’avais envie de progresser. Je me souviens leur avoir dit : « Ok, mais si je reviens, ce n’est pas pour faire 4 minutes sur 1500 m ! » C’était peut-être un peu prétentieux à l’époque, mais j’avais vraiment envie d’améliorer mes chronos. J’avais vu les Jeux olympiques de Munich (1972) à la télévision, notamment Lasse Virén qui avait réussi le doublé 5000 m/10000 m. Ça m’avait marqué et, quelque part, j’avais envie de faire comme ces athlètes. Du jour au lendemain, je suis passé à 80 kilomètres par semaine, j’ai commencé à faire de la vitesse, des fractionnés, à faire attention à mon alimentation et j’ai très vite progressé.
Quatre ans plus tard, vous terminez troisième des championnats de France de cross. Ça n’a donc pas été une surprise ?
Pas vraiment. À cette époque, il fallait disputer toutes les compétitions qualificatives pour aller aux France : les départementaux, les régionaux, les interrégionaux. J’avais donc pu réaliser sur les courses précédentes que je pouvais rivaliser avec des individus qui étaient déjà parmi les dix meilleurs français. En plus, les championnats de France de cross étaient un peu le point d’orgue de la saison hivernale, après le cross du figaro. C’était l’occasion de se qualifier pour les championnats du monde car, à l’époque, la Fédération emmenait les 10 meilleurs français. Pour un jeune comme moi, c’était un tremplin formidable en termes de motivation. J’ai fini troisième derrière Jacky Boxberger et Jean-Paul Gomez, et j’ai décroché ma première sélection.
1976, c’est aussi l’année de votre première participation aux Jeux olympiques…
Tout le monde me disait que je pouvais me qualifier pour les Jeux de Montréal. En regardant mes chronos sur 5000 m et 10 000 m, j’ai fini par me convaincre qu’en m’entraînant un peu plus ça passerait. Mais ça ne marche pas comme ça en athlétisme… Il y a des paliers à respecter dans la progression. Et moi, j’en ai trop fait. Je m’en souviens très bien, j’avais quitté mes parents pour prendre un studio et me mettre dans ma bulle comme un moine. Il n’y avait plus que l’entraînement qui comptait. Je suis même passé à deux séances par jour à ce moment-là, une demi-heure le matin avant d’aller travailler et une séance le soir. Mais c’était trop. Je me suis qualifié pour les J.O. mais quand je suis arrivé à Montréal, j’étais totalement cuit ! C’était fini, je me suis arrêté dès les séries.
Ces Jeux vous ont tout de même fortement marqué…
J’en garde un énorme souvenir. C’est quand même la seule manifestation qui nous permet, en tant qu’athlète, de côtoyer l’ensemble des meilleurs sportifs mondiaux. Je me souviens avoir été très impressionné par l’haltérophile Vasily Alekseyev (ndlr : Union Soviétique, double champion olympique), qui était à l’époque l’homme le plus fort au monde… et avoir eu honte aussi face à Nadia Comaneci (ndlr : Roumanie, quintuple championne olympique, première gymnaste à obtenir la note parfaite de 10). Un midi, je venais de me servir une énorme entrecôte avec des frites lorsqu’elle s’est assise en face de moi avec dans son assiette un simple citron et trois pommes de terre à l’eau. Je m’en souviens encore.
Et sur le plan sportif, votre plus beau souvenir ?
Peut-être mon premier record de France sur 10 000 m à Stockholm, en 1978 (27’58’’05), parce que je ne m’y attendais pas du tout et que ça avait été très fort d’un point de vue émotionnel… Ou bien mon premier titre de champion de France en 1979. Cette victoire était peut-être attendue après mes deuxième et troisième places des années précédentes, mais cette année-là, je m’étais blessé deux semaines plus tôt au Touquet en courant sur la neige et je ne me sentais pas d’y participer. Finalement, j’ai quand même pris le départ, pour mon club et le classement par équipes, et j’ai fini premier à ma plus grande surprise. Comme quoi, il ne faut jamais baisser les bras.
Quel était le quotidien d’un athlète de haut niveau dans les années 80, 90 ? Comment vous entraîniez-vous ?
On courait beaucoup. Sans doute trop. En 1975, je faisais 500 km par mois, puis je suis monté progressivement à 600 km l’année des Jeux de Montréal. Lors de certaines préparations, il m’est arrivé de monter jusqu’à 750 km par mois. C’était très astreignant. Après, on ne faisait pas forcément du seuil, ce n’était pas encore dans les mœurs. En revanche on faisait déjà des sorties en fartlek en variant les allures. Personnellement, je faisais aussi deux séances de piste par semaine et j’intégrais parfois un peu de sprint en effectuant des 50 et des 80 m. Mais je pense que la vraie différence avec aujourd’hui, c’est qu’on participait à énormément de courses le week-end. L’année de mon premier titre, j’avais disputé 25 compétitions pendant l’hiver avant les France de cross. Ça a sans doute été l’erreur de notre génération. On courait beaucoup trop. On ne se souciait d’ailleurs pas beaucoup de la récupération et ça m’a joué des tours. J’ai eu pas mal de fractures de fatigue et j’ai toujours eu beaucoup de difficultés à performer l’été, car j’étais incapable de couper une semaine ou deux entre les deux saisons. Je ne savais pas le faire. Effectuer une coupure d’un mois, comme mon fils (Emmanuel, voir ci-dessous) peut le faire aujourd’hui, c’était totalement impensable pour moi.
Vous courez encore aujourd’hui ?
J’ai continué à courir jusque 44, 45 ans environ. J’ai même décroché un titre de champion de France vétérans (ndlr : il détient le record de France M40 du 10 000 m en 29’00’’ depuis 1992), mais je ne cours plus aujourd’hui. J’ai été opéré d’un ménisque et j’ai mal aux genoux. Je fais du vélo et de la marche pour m’entretenir. Le problème, c’est que j’ai gardé ce défaut de toujours vouloir être à la bagarre quand je fais quelque chose. Je devrais y aller tranquille, mais je ne sais pas le faire. Si je vois une cote, j’essaie toujours de monter le plus vite possible, et derrière, je mets six heures pour récupérer. Ce n’est pas vraiment ce que l’on appelle du sport santé.
Quel lien avez-vous finalement gardé avec l’athlétisme ?
Je n’ai jamais véritablement quitté le milieu. J’ai même créé en 1998 avec des copains un club, le Clamart Course sur Route 92 (CCR92), au sein duquel j’ai accepté de m’occuper des jeunes pendant plusieurs années. Une super époque ! J’avais un groupe d’athlètes très demandeurs et passionnés. J’ai adoré partager mon expérience avec eux. Ils ont été champions d’Ile-de-France minimes et je les ai emmenés jusqu’aux championnats de France de cross.
C’est une période au cours de laquelle vous avez également entraîné votre fils, Emmanuel Roudolff-Lévisse. Racontez-nous cette relation…
Ce n’est pas toujours facile d’entraîner son propre fils. Mais j’ai eu la chance d’avoir un garçon qui voulait progresser et qui aimait vraiment ce sport. La passion, c’est la base. Si le gamin n’est pas motivé, tu ne le feras pas monter sur un podium. Je pense que je lui ai apporté les bases et, aujourd’hui, j’essaie plus de lui donner des conseils quand il en a besoin. Mais je sens que depuis qu’il est junior, il a besoin de tracer sa propre route et de vivre sa propre expérience. Il a raison. Et d’ailleurs, il se débrouille plutôt bien. Après son expérience de trois ans aux USA, il a couru le marathon en 2h11. Moi, maintenant, je me sens un peu mal venu de lui dire ce qu’il faut faire alors que je n’ai pas fait mieux que 2h14 sur la distance… Mais on continue de partager des trucs et je l’accompagne encore lors de certaines compétitions. Ça me permet de revoir les copains et de garder un pied dans le milieu. Parfois, j’ai l’impression de ne pas avoir vieilli.
On vous sent nostalgique …
Oui, je le suis. Surtout quand je vois les athlètes courir comme à Montauban (le 14 novembre dernier), sur ce parcours des championnats de France. J’aurais aimé y être encore. C’est un parcours qui m’aurait bien plu et j’aurais tout fait pour gagner. Mais bon, la période n’est plus la même. C’est plus compliqué de briller aujourd’hui. Il y a moins de compétitions internationales et d’athlètes qualifiés pour les Mondiaux. Et les chronos sont déments… En tous cas, je les admire beaucoup, ceux qui courent aujourd’hui, parce que même si le matériel a beaucoup évolué, ils n’ont pas toujours les mécènes et les aides derrière pour les épauler. C’est beaucoup plus compliqué qu’à mon époque.
Propos recueillis par Véronique Bury
Photos : pressesports
Rédaction J’aime Courir, le 08/01/2022 15:32:00